Extrait du chapitre 17 du livre » Des Droits qui dérangent ? « :
Ce paragraphe est un rapport intégral, écrit à chaud par l’auteur, quelques jours après avoir visité le quartier des mineurs de la prison centrale d’une capitale en Afrique :
Entrée par les bureaux. Au greffier : « Combien y a-t-il de mineurs dans cette prison ? – « Environ 80 ». A la même question, le Directeur : « Environ 60 ».
De passage devant le bureau de la cheffe-greffière, la feuille statistique quotidienne (date : 27 mars) : Nombre de prisonniers : 858. Capacité de la prison : 300. Nombre de mineurs : 90.
Visite du quartier des mineurs en compagnie du Directeur de la Prison, militaire en uniforme : le personnel de la prison est en effet constitué de militaires, détachés du Ministère de la Défense.
Sur 90 mineurs, 7 sont des condamnés, et donc 83 sont en détention provisoire, parfois depuis des années, c’est à dire en violation flagrante du Code de Procédure Pénale, qui prévoit un maximum de 4 mois (délits) ou 6 mois (crimes), renouvelable une fois – la détention provisoire ne peut donc, selon le Code, durer plus d’un an.
Rappelons que la détention préventive est une période pendant laquelle un détenu est toujours considéré comme présumé innocent, et qu’elle ne devrait être qu’un élément de procédure pour les besoins de l’enquête…
Serré la main d’un des mineurs, incarcéré depuis 2001 suspecté pour un crime (homicide involontaire) commis à l‘âge de 14 ans : il a aujourd’hui 21 ans et attend donc son procès depuis 7 ans. Comme il est devenu majeur, il a été « promu » à la responsabilité de « chef de chambrée » pour contribuer à la discipline du quartier des mineurs – « bénévolement », cela va de soi… D’autres mineurs attendent leur procès depuis un an, deux ans, quatre ans ou cinq ans….
Des ONG ont eu connaissance du rapport de l’Administration pénitentiaire sur le statut de ces mineurs et ont pu faire leur propre vérification : la liste nominative des mineurs était fausse à 50 % : des mineurs présents n’étaient pas sur la liste et des mineurs listés n’étaient pas présents (seule possibilité : certains étaient peut-être en libération conditionnelle, soit qu’ils aient été « élargis » en fin de peine, ou bien et simplement « oubliés de mentionner leur départ » sur les registres.)
On nous signale que dans certaines prisons de province, des mineurs sont en prison au-delà de la durée légale de leur peine par simple perte du dossier. Il est même arrivé une fois que personne n’ayant retrouvé la clé de l’armoire en fer des dossiers, personne ne sait quels mineurs devraient déjà être sortis. Donc, ils restent en prison. A part ça, tout le monde se plaint de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires du pays.
On peut rappeler ici que dans la plupart des pays, des prolongations abusives de détention provisoire peuvent entraîner des sanctions à l’encontre des juges dont les décisions (ou négligences) sont illégales et que les détenus peuvent ultérieurement faire valoir leurs droits à des compensations.
Mais, dans le cas des mineurs, on ne va pas s’attarder avec ces histoires, puisque par définition, ces mineurs sont issus de familles qui n’ont pas les moyens de se payer un avocat, et qui parfois ne veulent plus les voir.
Sur les 90 mineurs incarcérés, 32 attendent leur procès pour crime, relevant de la Cour d’Assises des Mineurs. Pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas encore statué sur leur sort ?
La Cour d’Assises se réunit « ad hoc » une ou deux fois par an, pour juger d’abord les adultes poursuivis pour crimes et lorsque la « session des majeurs » est terminée, le « rôle » prévoit de passer aux jugements des mineurs. Mais en général, il n’y a plus d’argent pour payer les juges d’Assises, qui sont des juges habituels percevant des indemnités supplémentaires lorsqu’exceptionnellement ils siègent en Assises. Donc les mineurs attendront la prochaine fois. D’où la durée interminable – et indéterminée – de leur détention provisoire.
A la question posée devant la personne faisant office de Ministre de la Justice, le Premier Président de la Cour d’Appel, présent à l’entretien, sur le coût d’une session de Cour d’Assises, répond par un chiffre en monnaie locale, qui correspond à 3 000 euros (trois mille euros).
Encore plus fort : un des mineurs incarcérés est condamné à la peine capitale, pour meurtre commis à l’âge de 17 ans, alors que l’Article 67 du Code Pénal du pays stipule explicitement que la peine de mort n’est pas applicable aux mineurs dans ce pays. Il avait tué un « chef de quartier », ce qui avait suscité une émotion considérable parmi les autorités comme dans l’opinion publique, au point de le considérer et de le juger comme un majeur. Officiellement, il s’agirait d’un doute sur l’âge réel et l’identité du condamné. Or, depuis plusieurs mois, l’acte de naissance a finalement été produit par des ONG et diffusé auprès des services « compétents ». Pas de résultats. Le directeur de l’UNICEF a fait une démarche officielle le 6 mars dernier. Toujours pas de nouvelles.
Il a donc fallu formuler un nouvel argument à la personne faisant office de Ministre de la Justice : si, au Comité des Droits de l’enfant, à Genève, on apprend qu’un mineur est condamné à mort alors que la loi nationale du pays l’interdit, cela pourrait avoir des conséquences sur l’image internationale du pays – qui n’est déjà pas brillante. D’autant plus que le sujet de la peine de mort est un sujet sensible et permanent au niveau international en général (et pas seulement à propos de mineurs).
Bien que contestant spontanément cette analyse, la personne faisant office de Ministre de la Justice donne, devant nous, l’ordre de vérifier l’identité et l’âge du condamné (alors que ses services disposent déjà de moult copies de l’acte de naissance). La détention d’un mineur illégalement condamné à mort dans la balance avec l’image du pays !
Dans ce même pays, une ONG a obtenu, en 2003 pour un autre mineur condamné à mort en province, que sa peine soit, la veille du jour de son exécution, commuée en dix ans de prison, ce qui est la peine maximum prévue par la loi pour les mineurs. Autrement dit, il suffit de demander…
Paradoxalement, le Directeur de la prison est parfaitement conscient de ces « dysfonctionnements » : il en est même choqué et dit lui-même qu’il gère un établissement où des mineurs sont « séquestrés » (au-delà de la durée légale de la détention préventive).
Mais c’est un militaire, qui dépend donc de la « Grande Muette ». Il peut – il doit – faire un rapport régulier au Juge pour chaque détenu, y compris en mentionnant parfois que la détention de certains mineurs est abusive.
Il n’est cependant pas question qu’un criminel sorte de prison, à cause du risque de récidive, et donc seuls les juges peuvent libérer un détenu. Mais comme il manque 3 000 euros pour que la Cour d’Assises se prononce, tout le monde attend.
Ce Directeur n’a donc pas la possibilité « d’élargir » les détenus illégaux. Il me glisse dans l’oreille qu’il peut faire sortir un mineur de la prison, sous sa responsabilité, uniquement lorsqu’un mineur est gravement malade, pour l’envoyer à l’hôpital, en espérant que le mineur convalescent en profitera pour « s’élargir lui-même ». A la question « Quel est votre problème principal avec ces mineurs ? » Réponse : « La nourriture. » Oublié de préciser que les 90 mineurs de cette prison n’ont qu’un repas par jour. »
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(Cf. le livre « Des droits qui dérangent ? « , édité sur Amazon, en version digitale et en version papier : https://urlr.me/DHvmnJ )