Cette affirmation est méprisante : sur quels critères établir qu’un pays est mûr pour la démocratie ?
Il est tout aussi intempestif d’affirmer que l’insécurité, la pauvreté, le faible niveau d’éducation, et l’économie informelle rendent impossible l’instauration d’un État démocratique dans un pays.
Dans une interview du quotidien suisse « Le Temps » (25.08.2025), le journaliste et écrivain sénégalais Ousmane Ndiaye va à contre-courant de l’idée reçue selon laquelle la démocratie n’est pas applicable dans les sociétés non-occidentales :
(…) La prétendue inadéquation des valeurs africaines à la démocratie (sert à ) justifier et défendre les nouvelles dictatures du Niger, du Mali et du Burkina-Faso. Or les valeurs qui constituent le socle de la démocratie – libre choix des dirigeants, la justice, la redevabilité, les libertés publiques – sont présentes dans toutes les sociétés, y compris africaines. Mais les formes démocratiques précédant la colonisation ont été évacuées du débat » (…)
« La responsabilité de l’Occident, en particulier de la France dans les maux du continent est réelle et documentée. Ce que je conteste, ce sont les lectures qui font de l’Occident le centre des crises africaines. (…) La quête du « bon dictateur » est le symbole achevé du déni démocratique. Elle disqualifie la démocratie au nom du développement. Pour quoi les Africains devraient être les seuls peuples à devoir choisir entre le développement et la démocratie, entre manger et s’exprimer, entre un bol de riz et la liberté ? Si la dictature permettait le développement du pays, une bonne partie des pays d’Afrique seraient développés, car c’est le régime dominant depuis les indépendances. » (…)
Lire d’interview intégrale de Ousmane Ndiaye (auteur de « L’Afrique contre la démocratie. Mythes, déni et péril – Ed Riveneuve – 2025) :
https://www.letemps.ch/monde/afrique/l-afrique-est-elle-incompatible-avec-la-democratie-la-riposte-cinglante-du-senegalais-ousmane-ndiaye
La démocratie a des racines historiques, sous des formes très diverses, dans toutes les cultures. Le processus de démocratisation est spécifique à chaque pays, selon son parcours historique, ses traditions, et son intelligence collective.
Dans son livre « La démocratie des autres », l’économiste indien Amartya Sen estime que : « La thèse de l’exception européenne dans le respect de la tolérance et du dialogue ne peut être soutenue qu’en fermant les yeux sur tous les exemples de débats publics historiquement attestés dans d’autres régions de notre planète. » (…) Et il ajoute : » La démocratie n’est pas un luxe qui peut attendre la prospérité générale. (…) Un pays ne doit pas être déclaré mûr pour la démocratie, mais il doit plutôt parvenir à la maturité par la démocratie. » Amartya Sen [1]
En Afrique du Sud, Nelson Mandela mentionne dans sa biographie le souvenir fort qu’il a gardé des procédures démocratiques pratiquées dans les villages de son enfance, en Afrique du Sud, par exemple dans la demeure du régent Mqhekezweni : « Quiconque voulait prendre la parole pouvait le faire. C’était la démocratie dans sa forme la plus pure. Il se peut qu’il y ait eu une hiérarchie dans l’importance des intervenants (mais) chacun pouvait se faire entendre. C’est cela qui fut le fondement de l’autonomie : tous étaient libres d’exprimer leurs opinions et tous étaient égaux en tant que citoyens. [2]
[1]– Amarty Sen – Philosophe et économiste (INDE) – La démocratie des autres – Edition Payot.
[2]– Nelson Mandela, avocat et ancien président (AFR.SUD) – Un long chemin vers la liberté – Ed. Fayard

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Cf. le livre « Des droits qui dérangent ? « , édité sur Amazon, en version digitale et en version papier : https://urlr.me/DHvmnJ )